Le meilleur de l’innovation

L’écosystème français possède un maillage de pôles d’excellence que sont les restaurants étoilés du guide Michelin. La démarche d’innovation des chefs étoilés est-elle transposable et exploitable par les dirigeants de PME et ETI françaises ? J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec les chefs René et Maxime Meilleur de l’hôtel-restaurant 5* La Bouitte perché à 1500 m d’altitude à Saint-Martin de Belleville en Savoie, consacré trois étoiles au guide Michelin.

« Ce n’est pas simple de créer »

Le chef a grandi en Savoie au milieu des montagnes et de sa riche végétation, il se définit comme un « paysan » ; c’est un amoureux de la région et un magicien pour sublimer tout ce que la nature peut lui apporter de saveurs. Autodidacte, il s’installe a Saint-Martin de Belleville en 1972 et propose dans son modeste restaurant d’alors les produits de la gastronomie savoyarde ; croziflette, fondue, gratin, polente, tartiflette, etc. Autant de plats rustiques et solides qui réjouissent et revigorent les skieurs en fin de journée. Quel chemin parcouru depuis, sans renier cet héritage culinaire, bien au contraire.

« Ce n’est pas simple de créer ! » ; voilà les premiers mots du chef lors de notre entretien. Pour chaque nouveau plat, il faut qu’il soit au même niveau de qualité, voire meilleur… La raclette illustre bien l’évolution de la cuisine du chef ; afin de rappeler les origines de La Bouitte, présente à la carte depuis quarante, elle est à présent allégée et devient la raclette aérienne au lait cru, préparée à partir de mousse de fromage…. Le chef s’adapte à la clientèle qui dépense moins d’énergie que les anciens , qui recherche des plats légers et équilibrés, et qui souhaite aussi aller au bout du menu (neuf à dix plats avec les mignardises) (1) ; les plats traditionnels sont donc revus et perfectionnés. Pragmatique, le chef n’est pas locavore, car en montagne dans un rayon de cinquante kilomètres « il n’y a que du fromage et de la saucisse (sic) » et ne pourrait satisfaire que cinq couverts par repas. Les idées lui viennent de ses balades en montagne, où il goûte souvent les plantes (herbes, feuilles…) qu’il connait bien de part ses origines. Ses grand-parents partaient en montagne pour couper des pissenlits et autres plantes ; ce n’est que plus tard que des produits plus raffinés ont fait leur apparition, notamment les salades plus facile à mâcher… Le produit est sa principale source d’inspiration puis il est travaillé de façon à inscrire la griffe de La Bouitte. Leur dessert signature – tellement local – le lait ; dans tous ses états, biscuit, mousse, tuile givrée, confiture… C’est Maxime, qui seconde son père depuis vingt ans, qui est à l’origine de ce dessert (photo mise en avant). Pour être mis au menu, un nouveau plat est testé « au bureau » (sic) par le père et le fils, décrit puis représenté par un dessin pour le dressage. Si besoin le plat est retravaillé par la brigade pour être ensuite servi en salle. Les chefs se mettent alors à table, en famille, et se font servir le nouveau plat, accompagné du vin et des pains appropriés, en situation d’un client ; ce n’est qu’une fois cette étape franchie que le plat est mis à la carte.

Pragmatique, René Meilleur n’est pas locavore.

Le chef fait preuve d’énormément d’empathie vis-à-vis des ses clients ; il réussit à conjuguer tradition et modernisme en proposant beaucoup de plats traditionnels savoyards et de produits locaux adaptés à la clientèle d’aujourd’hui. Mieux, il mène l’expérience utilisateur au bout en se mettant à la place de ses clients afin de valider chaque étape du parcours clients. Empathie, expérience utilisateurs, parcours clients, voilà les maître-mots du Design thinking a expérimenter par toutes les entreprises ; comme quoi la conception d’un Tim Brown (2) n’est pas éloignée de celle d’un René et Maxime Meilleur ! Cette démarche nous rappelle que sans client, il n’est point d’innovation qui vaille…

(1) Menu du 10 décembre 2022 : Raclette aérienne au lait cru, caviar « Ossetra », Salsifis, Omble chevalier, Saucisse de couenne, Pigeonneau, Pré-dessert, Agrumes, Le lait, Mignardises.

(2) A l’origine du Design Thinking (lire Change by design).

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *