L’écosystème français, mais également étranger, possède un maillage de pôles d’excellence que sont les restaurants d’exceptions. La démarche d’innovation des chefs talentueux est-elle transposable, exploitable ou inspirante pour les dirigeants de PME et ETI françaises ? J’ai eu le très grand plaisir d’échanger avec un chef tchèque, Oldřich Sahajdák, dont le restaurant étoilé au guide Michelin « La Dégustation Bohême Bourgeoise » est situé à Prague.
Issu d’une lignée de cuisiniers, le chef Sahajdák a grandi dans un univers où la cuisine n’était pas simplement un métier, mais une manière d’habiter le monde. De ses grands-parents aux fourneaux à sa mère en cuisine scolaire, il hérite d’un rapport intime à la gastronomie, façonné dès l’enfance par les saveurs familières des plats traditionnels tchèques.
Cette mémoire culinaire n’est pas une nostalgie : elle est la matière vivante de son travail. Fort de voyages en Allemagne, Nouvelle-Zélande, États-Unis, Italie ou Portugal, il s’est nourri d’autres terroirs pour mieux revenir au sien. Son inspiration puise dans le patrimoine gustatif de Bohême, en particulier dans le livre « La Cuisine pragoise ancienne », un recueil illustré en français qui célèbre les traditions culinaires de Prague et de l’ancien Empire austro-hongrois. Goulasch, escalope viennoise, pain perdu pragois : autant de classiques qu’il réinvente avec respect et audace.
Mais cette créativité ne se déploie pas en vase clos. Elle s’inscrit dans une logique de sens et de responsabilité. Le chef travaille exclusivement avec des produits d’origine tchèque et collabore étroitement avec agriculteurs, bergers et producteurs locaux. Sa cuisine locavore devient alors un acte engagé, un hommage vivant aux ressources régionales.
Chaque jour commence avec une question simple mais essentielle : qu’est-ce que la terre nous offre aujourd’hui ? Le menu évolue quotidiennement, guidé par les saisons et les arrivages du marché. Cette contrainte volontaire, loin de brider, stimule l’inventivité : elle impose au chef et à sa brigade de faire preuve d’agilité et d’adaptabilité constantes. C’est là que réside le cœur de son innovation : dans l’équilibre entre création libre et cadre imposé, entre le geste ancestral et l’élan contemporain.
Dans sa cuisine, chacun a voix au chapitre. Les plats naissent de dialogues, de souvenirs partagés, d’évocations sensorielles. Un poisson ne sera jamais servi sans une sauce, écho à l’eau dans laquelle il a nagé ; une viande sera accompagnée d’herbes et de graminées, en hommage aux champs qu’elle a parcourus. Chaque assiette raconte une histoire, une géographie, une mémoire.
Au-delà de la technique – proche de l’agilité et du design thinking – , c’est cette quête de cohérence et de sens qui donne toute sa force à la démarche du chef Sahajdák. Innover, ici, c’est cultiver l’essentiel : l’ancrage, l’écoute, et le respect du vivant.